L'autre soir, au bistrot, un type bizarre m'a abordé. La petite quarantaine, habillé un peu vieillot, une fine moustache, l'air un peu, disons, décalé. Ou alors méga branché, je ne sais pas. Il m'a dit :
- Tu me billes une moussante, mecton et j' te dis comment qu'on se peut se désenflaquer du rondin (sortir de la merde ndlr) de la crise financière mondiale .
- Ah ? OK, lui ai-je répondu, amusé : encore un pauvre type qui se la joue parigot authentique.
Il m'a dit : y'a du coulage (pertes financières ndlr) dans les états : sont trop encroumés (endettés ndlr), pas vrai ?
J'ai opiné.
- Faut donc qu'y palpent plus d'oseille ou qu'y z'en claquent moins, j'ai bon ?
- Oui, on peut dire ça comme ça.
- Alors billanche ta tournée et j'te mets au jus. J'ai pas envie de pisser de la poudre (j'ai soif ndlr).
J'ai fait un signe au serveur. Il a repris :
- Merci mon prince. Bon, si les états veulent moins cosser, faut qu'y coupent dans les dépenses sociales, les quilles (retraites ndlr) et les douillances des bouffe-galette (salaires des fonctionnaires ndlr), non ?
- Oui, c'est la rigueur, c'est ce qu'on annonce à la radio, en tout cas.
- C' qu' y brodent, à la radio, c'est de la couille en bâton .
- Ah tiens ? Et vous êtes plus compétent que les analystes économiques, peut-être ?
- Ben ouais, justement parce que je suis ni à la radio, ni économiste. Un économiste, c'est un philibert (escroc ndlr) qui saura même pas demain pourquoi ce qu'il avait prédit hier n'est pas arrivé aujourd'hui.
- Ouais, jolie formule, mais bon...
- Et la radio, c'est du tartre ; c'est comme les baveux : faut toujours s'méfier des gens qui vivent de leur langue. Une rouscaillante, ça sert pas qu'à jabotter.
- Hein ?
- Ça sert à lécher, aussi.
- Ah.
Le type n'avait pas l'air de jouer la comédie avec son argot désuet ; c'était très étrange. Il avait l'air, comment dire, naturel.
- Bon, a-t-il enchaîné, un état, ça croûte comment ?
- Ben avec les impôts, les taxes quoi.
- T'as pigé, mon poteau. Sauf que comment qu'y va faire pour pomper de l'impôt, ton état, si l'activité économique se casse la margoulette à cause de la binelle générale (faillite ndlr) ?
- Je ne sais pas.
- Alors billanche une aut' bibasse (bière ndlr) et j'vas t'mettre au parfum.
- Bon, ok, mais c'est la dernière. Vous avez intérêt à être convaincant.
- Pas de probzo, c'est un palais (facile ndlr), débride tes étiquettes (écoute ndlr) : si toi tu veux te faire de la maille, tu vas où ?
- Ben, heu, je ne sais pas, au Pôle Emploi ?
(...)