L’autre jour, je suis passé devant un lycée de centre-ville et je me suis rendu compte d’un truc bizarre : les jeunes portaient exactement les mêmes fringues que moi quand j'avais leur âge. Rien n'a changé. Ça fait bizarre.
Jeans slims, blousons en cuir, baskets Converse. Cheveux mi-longs sont soigneusement dépeignés. Démarche traînante pour faire poète désabusé. Même rock blanc à guitares dans les iPods que moi dans mon walkman à l’époque. Et l'air nonchalant de ceux qui sont persuadés d'être les rebelles vestimentaires ultimes.
Je m'approche : ils parlent de fêtes et d’amour. Normal, quoi, la vie. Ah oui, une différence, quand même : ils ont des téléphones portables. A part ça, le costumier a bien travaillé, on se croirait vraiment à la fin des années 80.
Oui, je sais, la mode est un éternel recommencement mais à ce point-là, c'est inquiétant : je sais aussi que chaque génération doit renier la précédente pour s’imposer. Surtout la mienne qui mérite amplement d’être reniée, si vous voulez mon avis. Ben là, non, la génération qui suit fait pareil que nous, c’est à dire pas grand chose. Il y a quelque chose qui a buggé.
A la fin de la guerre, il y a eu les zazous, puis les jazzeux de St Germain des Prés dans les années 50, puis les yéyés, les rockeurs et la soul dans les 60ies puis les babas cool, les hard rockeurs, le funk et le punk dans les années 70, puis la new wave dans les années 80 puis la techno, le rap ou le grunge dans les années 90 puis… puis… Rien. Aujourd’hui, tu peux donc aller aux même concerts que tes gosses et tu trouves que c'est carrément écoutable, sauf que ça ressemble quand même beaucoup à des trucs que tu as déjà entendus il y a 20, voire 30 ans. Pourtant, tu adorerais que ton gamin écoute des trucs de sauvage pour pouvoir lui dire de baisser sa musique de merde, comme l'ont fait tes parents et tes grands parents avant toi. Ben non, même pas.
Tu voudrais lui dire que c'est qu'un petit con, qu'il ne sait pas la chance qu'il a et que, à notre époque, c'était plus dur. Mais non, là non plus. Nous, on avait le chômage et le sida, lui il a le chômage + le sida + les policiers qui viennent arrêter ses camarades sans papiers à la sortie de l’école + une catastrophe écologique planétaire offerte par la maison.
Tu voudrais qu'il te traite de bourgeois comme tes parents mais non : tu habites dans un appartement trop petit et tu peines à boucler tes fins de mois alors il te dis gentiment que tu n’es même pas un bobo par ce qu’il te manque un bo sur les deux : t’es pas bourgeois, t’es juste bohème et tu ne l’as même pas fait exprès.
Alors tu finis par lui dire de se rebeller, d’imposer son style, son look, sa musique et d’être libre, novateur, insolent, merde ! quand tu te rends compte que les seuls rebelles qu’on lui propose sont ceux des magazines de mode, que les groupes qu’il écoute sont ceux des revues financées par la publicité des multinationales du vêtement et que son look sort directement des bureaux de style de Londres ou de New-York.
Alors tu te dis que oui, peut-être, il y a quelque chose qui a buggé. Et qu’on s’est tous fait empuber, emmarketer bref, enfermer .
J’ai pas trouvé de chute drôle (photo : Julia, de la Star Academy)